Avec Lucille, nous nous sommes rencontrées via instagram, j’ai été dès le départ, très sensible à son univers de motifs et couleurs très vibrant.
Nous avions pris un 1er café il y a plus d’un an lorsqu’elle travaillait encore dans son appartement avec la promesse de se revoir pour un interview.
Aujourd’hui Lucille est résidente des ateliers d’artistes de Paris du BDMMA, c’est au cœur de cet atelier qu’elle nous partage ses créations , son parcours et son processus créatif.
Je vous invite à une plongée dans son univers emprunt de végétal, de géométries rythmiques tout en texture qui vibrent au sons des teintes colorées. Ses recherches puisent aussi bien dans la nature, les arts décoratifs, que le cinéma d’animation en explorant différents médiums et process comme la peinture, les enduits, les pochoirs, les collages ou les découpages…
Lucille pratique un de ces métiers de l’ombre qui viennent sublimer vos intérieurs.
- Quel est ton parcours, tes études ?
J’ai commencé par un cursus au Lycée en Arts Appliqués à Reims puis un BTS Design Produits à Roubaix suivi d’un DSAA Design Produit (Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués) à Marseille.
A la fin de mes études, je me suis rendue compte finalement, que le design industriel n’était pas du tout pour moi et qu’il me manquait quelque chose dans ma formation qui me stimule vraiment, quelque chose de plus sensible.
C’est là que je réintègre un BTS Design Textile en ayant en tête de pouvoir rejoindre des sociétés type Cinna ou Kwadrat avec ce double parcours.
La 1ere année, mes professeurs me libèrent de tous les cours généraux, ce qui m’enlève une énorme pression, moi qui ai toujours eu ce « syndrome » de 1ère de la classe. Cela me permet ainsi, de libérer un temps très précieux pour approfondir mon processus créatif, avec notamment la pratique approfondie du dessin.
Ayant déjà capitalisé sur des acquis théoriques, on me propose de faire la 2e année 100% en entreprise. Ainsi, j’intègre le Studio Kenzo à la mode pour dessiner les Prints (motif des textiles). Nous sommes deux assistants ce qui me permet de progresser très rapidement en apprenant le métier sur le tas.
Finalement, mes études et le monde professionnel se sont entremêlés de suite dans mon parcours. Juste après j’ai intégré la maison Pierre Frey.
Après 5 ans au studio tissage, j’aspirais à des projets d’autres envergures, j’avais besoin de ce retour à la peinture, au travail de la main à proprement parler.
J’avais cette idée de vendre mes dessins que j’aurais peints. C’est comme cela que je me suis mise à mon compte et que ma structure s’est peu à peu mise en place, en testant différents marchés pour voir ce qui se passait avec des retours de chacun qui m’ont fait évoluer. En étant à l’écoute, j’ai pu à tâtons, éclaircir mon projet pro grâce à ce cheminement, tout en enrichissant ma culture visuelle.
Au bout de 5 ans d’expérience, j’ai eu envie d’une ampleur plus vaste et je choisi de me faire accompagner par un programme du BDMMA qui permet à de jeune entrepreneur/artiste de construire et affiner leur projet pro afin de mieux savoir communiquer, de mieux savoir se vendre et d’organiser notre quotidien efficacement. Ainsi, j’ai su définir mon intitulé de métier précisément, celui de peintre ornemaniste.
Par ailleurs, je me documente énormément sur les arts, l’artisanat, les lectures de Michel Pastoureau aussi confortent mon choix de faire ce métier pour l’ameublement. C’est là que tout s’aligne et se dessine avec précision.
- Quel est ton métier aujourd’hui ? Explique-nous en quoi il consiste.
Je suis peintre ornemaniste, terme un peu désuet qui n’existe pas tel quel dans la nomenclature des métiers d’art. On peut l’imaginer comme une sous-catégorie de peintre en décor. Mon métier est varié car je travaille en premier lieu à la main puis je passe sur l’informatique afin de faire de mes peintures des fichiers reproductibles pour l’impression, avec la mise au raccord des motifs notamment. C’est à dire que les dessins puissent être dupliqués et imprimés à grande échelle sur de grandes surfaces.
- Quels différents médiums utilises-tu ?
La peinture est la base de mon travail je peins à l’acrylique sur des supports tels que le carton, le papier ou le bois.
Certes, ce n’est pas la peinture la plus écologique mais elle convient bien à la vie d’atelier car elle est sans odeurs, elle sèche rapidement et les textures sont très variées ; plus ou moins épaisses, plus ou moins pigmentées. Cela me permet de jouer avec les rendus, le relief, les possibilités graphiques et d’expression sont plurielles.
Ces supports sont ensuite transformés en fichier numériques qui peuvent être utilisés par des maisons d’édition pour les imprimer sur d’autres supports comme le tissu ou les revêtements muraux dans la majorité des cas. Mes dessins peuvent aussi être un imprimé, de l’émail, de la broderie.
Le dessin a une fonction décorative et narrative pour transmettre une histoire sur des matériaux divers. Mon travail part toujours de l’histoire et selon, j’utiliserais plus des crayons de couleur, de la craie ou encore des enduits. Le médium est là pour servir l’histoire que je vais raconter.
Le point d’ancrage est cette narration, puis vient le dessin et enfin le choix du médium le plus approprié à transposer le récit et le faire vivre.
- Quelles sont les différentes échelles de tes projets ?
En ce qui concerne les supports de mes œuvres en tant que tels, cela va du format A4 à des panneaux de 190/160cm qui me servent de supports de présentation.
Autrement mes collaborations sont soit avec des éditeurs soit avec des architectes.
Dans le 1er cas mes peintures seront utilisées pour fabriquer des métrages de tissus et/ou de papier peint. Dans le deuxième cas, il s’agirait de projet unique pour un lieu en particulier.
- Qu’est ce qui t’apporte le plus de satisfaction dans ton travail ?
La phase que j’affectionne le plus est celle de la création des collections avec la phase de recherche et la réalisation des dessins qui vont les composer.
Tous les débuts de projet sont toujours super excitants avec cette phase de stimulation et de recherches. Je passe beaucoup de temps à la bibliothèque pour explorer le maximum de pistes et être bien dans le ton. Ensuite vient aussi le temps de la production, où les mains sont occupées et le cerveau déconnecte quant à lui. Cette phase méditative est assez euphorisante et satisfaisante pour moi.
Le deuxième temps que j’apprécie également énormément sont les rdvs avec les éditeurs et les architectes. Leurs retours en live sur mon travail et ces moments d’échanges sont très enrichissants. Même si cela n’aboutit pas à une vente, ce sont toujours des partages qui me nourrissent.
- Qui sont tes clients ?
Mes clients sont des éditeurs de tissus et revêtement muraux (Pierre Frey, Nobilis, Casamance, Larsen…). Avec le salon des Rendez-Vous de la Matière, j’ai élargi ma clientèle en proposant mes travaux aussi aux architectes et décorateurs pour des projets sur mesure.
- Quel est ton rapport à la décoration ? Soigner ton intérieur a-t-il de l’importance ?
Je conçois mon intérieur comme un lieu refuge.
Mon appartement est un peu particulier car j’y ai travaillé pendant 6 ans ainsi que mon compagnon qui est animateur de dessins animés. On peut dire que c’est un appartement atelier.
Il est le support de nos besoins pro plus que personnels.
Chez nous en fait il n’y a pas vraiment de décoration mais nous avons fait du salon un lieu accueillant, au sein duquel, nos amis et les amis d’amis se sentent bien, où l’on peut les recevoir à dormir confortablement. On a un très grand canapé, une grande bibliothèque, des story Board aux murs.
Il est cosmopolite au final, très libre des diktats de la décoration purs et durs. Pour moi l’importance 1ère est qu’on se sente bien et accueilli pour ceux qui nous visitent.
J’ai pris plus de temps de réflexion pour organiser mon nouvel atelier que tu visites aujourd’hui pour qu’il soit fonctionnel et me permette de montrer/exposer mon travail aussi.
- Quels sont tes objets fétiches ? Chez toi ou à l’atelier ?
A la maison, je suis fan de cerfs-volants et de mobiles, j’ai aussi une collection de statuettes japonaises en papier mâché, des Fukukan. Elles représentent des animaux et chaque fin d’année je m’en offre et elles viennent agrandir ma collection comme des porte bonheur. Ils n’ont d’importance que par la valeur que je leur accorde, ils habitent avec nous en quelque sorte.
A l’atelier les pinceaux sont vraiment mes objets fétiches. Notamment lorsque mon entourage part en voyage, je leur demande de me ramener des pinceaux ou outils du pays visité. J’en ai de Corée, du Japon, de Chine, un outil de cuisine de Madagascar qui me sert à créer des textures par exemple. Il y a un côté un peu Pierre Loti.
- Quel est ton rapport à la couleur ?
Cela remonte à loin, il est profond, depuis la petite enfance. Je pense régulièrement aux vitraux de Chagall de la cathédrale de Reims, ce bleu très lumineux, l’éclat des couleurs qui m’ont marqués enfant.
Chez Pierre Frey j’étais prédisposée à la vérification des tirelles pour vérifier les bons bains de teinture car j’avais cet œil aiguisé sur la couleurs et les nuances. Cela m’a offert une grande précision de l’analyse de la couleur avec une sensibilité très forte sur la composition d’une palette.
Mon rapport à la couleur est très sensoriel, symbolique et onirique et aussi lié à des époques de ma vie qui m’ont marquées.
J’aime aussi le rapport chimique de la couleur lorsque je mélange mes peintures ou mes pigments. De savoir si je dois ajouter une touche de bleu ou de lilas pour obtenir la teinte exacte que je souhaite, m’apporte énormément de satisfaction.
Là clairement je suis dans une période bleu, vert, jaune crème et je sais qu’elle changera en fonction d’un nouveau voyage ou une autre source d’inspiration. Il y a des couleurs que je détestais et que maintenant j’adore, comme le vert olive par exemple.
Toute la beauté du rapport à la couleur réside là dedans, dans cette constante évolution qui a quelques chose de très sensorielle et impacte nos émotions.
- Comment vois-tu l’écologie et le développement durable dans l’habitat, la décoration ?
Je suis plutôt partisane de, moins on produit et mieux l’on se porte. Il n’y a pas plus écologique que de ne rien fabriquer de nouveau. Aussi, il y a une sorte de distorsion de la réalité sur le sujet…
Dans mon quotidien de vie d’atelier, pour la phase de recherche j’utilise des supports de réemploi, an allant à la réserve des Arts entre autres.
Le papier de mes brouillons devient aussi de la pâte à papier que je réutilise pour les façonner dans des moules en terre, par exemple dans une autre démarche artistique.
Pour résumer, je dirais qu’il faut faire peu mais juste. Tout est question de dosage.
Cela se traduit dans ma démarche artistique aussi en proposant peu de dessins avec un nombre de collection réduit à une par an. Je crée des motifs plus intemporels, qui ne se démodent pas d’une saison à l’autre. J’essaye de bien penser les choses pour ne pas être dans la surproduction et que les produits aboutissent et soient commercialisés in fine.
Je pense que l’on peut s’en sortir, pour moi cela passe par le soin apporté à mes outils, dans mes process de faire peu mais de très bien le faire et aussi de prendre soin de mon environnement social et faisant des rdvs pertinents.
- Quel serait le projet de tes rêves ?
Je n’ai pas un projet de rêve, ce serait d’avantage une histoire de rencontres et de personnes avec qui j’aimerais tisser un projet.
J’adorerais collaborer avec les ateliers D’Offard entre autres. Dessiner une collection de tapis avec les ateliers Pinton ou encore dessiner une cheminée architecturale en céramique.
Ce qui me nourrit et me stimule sont avant tout les rencontres humaines.