Emaux et Métaux
- Quel est votre parcours, vos études ?
Je fais partie de cette première vague d’artisans d’art qui ont fait une réorientation professionnelle en 2000. A l’époque cela n’était pas du tout dans l’air du temps.
Je suis issue d’un parcours universitaire autour du domaine de parcours culturel. J’ai fait un double cursus Théorie du théâtre et mise en œuvre de projets culturels.
Ensuite je suis de venue libraire pendant 7 ans en tant que responsable du rayon beaux-arts de la Fnac de Nantes. La librairie me passionnait toujours autant mais je ne me retrouvais plus dans mon environnement de travail. J’ai appris que je pouvais faire une reconversion professionnelle et je faisais de l’émail depuis l’âge de 9 ans. Dans mon village il y avait un atelier de loisirs avec des cours d’émaillage sur métaux.
Je ne suis ni issue d’une famille d’artisans ou artiste ni d’une formation artistique, mais je me suis quand même dit pourquoi pas devenir émailleuse sur métaux. Etant donné qu’à l’époque il n’y avait plus de formation en France et c’était avant l’ère d’internet et de l’ouverture à l’étranger.
J’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui voulaient bien transmettre leurs savoir-faire. Une formation sur mesure a été montée pour moi avec ses qualités et ses défauts. Ce qui a été très enrichissant c’est que la formation a été montée avec la Maison de l’Email de Moré qui eux étaient directement en lien avec des manufacturiers et avec des industriels.
A l’époque l’émaillage sur métal se faisait quasiment que sur des petits formats et sur cuivre. L’émaillage sur acier, personne ne le faisait à cette échelle.
Ma formation m’a fait découvrir l’acier et j’ai tout de suite eu des accointances avec ce métal.
Quand je suis retournée à Nantes après ma formation, j’ai eu la chance qu’une des dernières manufactures d’émail se soit installée à 20km de Nantes deux ans auparavant. Et là notre grande histoire d’amour à commencer et le chef d’atelier m’a pris sous son aile, ils m’ont beaucoup épaulée.
Maintenant je suis le département en relation avec les architectes pour les effets de matière au sein de leur entreprise. Nous avons aussi monté un projet validé par le titre de maître d’art élève et je suis la maitre d’art de leur laborantine. (Dispositif qui contribue à la pérennisation des savoir-faire remarquables et rares des métiers d’art). C’est une très belle histoire de transmission.
Cette rencontre a modifié mon parcours dès le départ.
Il y a 20 ans les métiers d’art étaient perçus comme ringard et aujourd’hui c’est devenu hyper sexy.
- Quel est votre métier aujourd’hui ? Expliquez-nous en quoi il consiste.
Je suis émailleuse sur métaux.
Une partie de mon travail est artistique par mes pièces personnelles, l’autre partie c’est la casquette de formatrice et la dernière est celle d’artisan quand je travaille pour des prescripteurs pour lesquels j’exécute ce qu’on me demande faire. Toujours à travers le prisme de mon travail artistique.
J’ai un univers artistique très développé et très différent de ce que je créé pour la prescription qui nourrit mon travail.
J’ai monté mon atelier en 2004. Et en 2005, on m’a sollicité pour former à la préparation du CAP d’émailleur et de fil en aiguille j’ai de plus en plus formé et je me suis aperçue que j’adorais ça et que c’était réciproque avec mes élèves.
Je suis aussi très impliquée pour la transmission et la mutualisation. J’ai concouru à remonter un atelier collection d’émail dans le Jura en 2009.
A l’heure actuelle je crois dur comme fer à mutualiser des équipements dès lors qu’on passe à une échelle plus grande en termes d’économies d’échelle et de viabilité de notre activité.
En 2023, j’ai commencé une formation pour passer une certification pour être formateur pour adulte.
- Quels différents médiums utilisez-vous ?
C’est un métier complexe et très technique qui allie deux matériaux ; les métaux et le verre sous forme d’émail que a priori tout oppose – le métal est solide, le verre est fragile. Mais ils sont réunis par un troisième élément, le feu.
L’émail est du verre coloré avec des oxydes métalliques.
Mon métier est de venir déposer sur du métal, du verre préalablement modifié. Pour qu’ils se marient on les enfourne à chaud sur des cuissons de 2 à 20minutes à 820C sans montée en température. Et ensuite on va multiplier les cuissons jusqu’au résultat de textures, de résistance et de coloris souhaités. Une fois cuits le processus est terminé car l’émail est vitrifié et donc résistent, aucun produit n’est ajouté.
C’est un travail d’alchimie.
Avec la matière on ne peut pas se presser. Il y a des temps incompressibles inhérents au processus de fabrication qu’il faut prendre en compte dans les délais des projets.
- Quelles sont les différentes échelles de vos projets ?
Cela va de toutes petites pièces multipliées. Par exemple j’ai participé à la restitution (refaire à l’identique des pièces anciennes) du mémorial de Colville sur Mer d’immense carte en marbre sur lesquelles il y a des bordures (1000 env) en métal émaillé aux plateaux de table, crédence de cuisine, parement de cheminée pour l’architecture et la décoration d’intérieur.
- Qu’est-ce qui vous apporte le plus de satisfaction dans votre travail ?
Quand j’ai le temps et la sérénité pour créer des matières, pour travailler les projets pour que les pièces qui sortent du four soient conformes aux attentes. Aujourd’hui vraiment ce qui m’apporte le plus de satisfaction c’est de savoir que je vais être sereine pour travaille sur un projet, ce qui est aussi la garanti d’un projet réussi.
Ma part antistatique, le rêve, l’écriture, la contemplation m’aident à garder du temps pour moi et être sereine dans mes projets pros.
On ne déconnecte jamais vraiment dans sa tête, même si je déconnecte mon téléphone et mon ordinateur pendant les grandes vacances, je passe mon temps à dessiner, collecter des détails qui vont nourrir mon travail et mes recherches.
Même quand je marche, je vois un truc qui me fait penser à un effet de matière en pensant aux mélanges d’émaux et au potentiel artistique.
De même à chaque fois que je vais à Paris, voir des expos des pièces de théâtre, j’ai toujours un carnet et des crayons. Tout est source d’in spiration même si cela peut-être usant parfois c’est également une très grande richesse.
Aussi le fait d’avoir un agent me permet de déléguer certains aspects de mon travail, ce qui m’apporte aussi cette sérénité.
- Qui sont vos clients ?
Ce sont principalement des prescripteurs ; architectes et décorateurs et quelques designers et très peu de particuliers.
Aussi, en tant que formatrice maintenant, les centres de formations sont aussi des clients.
Par ailleurs de plus en plus, je forme des artistes au métier pour qu’ils appréhendent le travail de l’mail pour ensuite être capable de collaborer avec des émailleurs.
- Quel est votre rapport à la décoration ? Soigner votre intérieur a-t-il de l’importance ?
Je suis persuadée qu’on ne peut pas concevoir et travailler dans le moche.
Je ne peux pas travailler dans un atelier désordonné, j’ai besoin qu’il y ai un minimum de décoration, de l’ordre.
Quand je travaille avec les centres de formations sur place, systématiquement je « refais le déco », je range, je trie, je jette et je demande aux élèves de ranger leurs établis. Pour moi c’est essentiel de travailler dans un environnement beau, propre et rangé.
Chez moi aussi, la décoration est très importante, j’y apporte beaucoup de soin. J’ai une énorme passion pour els arts populaires et on se rend compte que l’homme c’est toujours exprimé dans le beau depuis toujours. C’est la beauté du geste, de l’assemblage, du choix des matériaux et de leurs ornements. Il y a que les sociétés industrielles qui ont créées de vraies horreurs.
- Quels sont vos objets fétiches ? Chez vous ou à l’atelier ?
(Moment de réflexion)
Ça c’est une bonne question ! En fait il y en a beaucoup car j’aime les objets. A l’atelier c’est vraiment mon four car sans lui rien ne se créé.
- Quel est votre rapport à la couleur ?
Alors il est très ambivalent, probablement car je ne suis pas issu d’une formation artistique à la base. Au début de mon activité il y a 20 ans, il était plutôt du domaine du smarties, plus je pouvais en mettre sur une pièce plus je le faisais.
Et puis au fur et à mesure des formations et des rencontres artistiques que j’ai pu faire, mon rapport à la couleur a énormément changé. JE l’aime toujours mais je travaille plus dans la recherche de textures et de nuances avec une base plus restreintes de couleurs. Je travaille d’avantage, les surcuissons, les oxydations pour mes travaux personnels.
Pour ma gamme d’échantillons, la palette reste plus vaste. Les émaux ne sont pas miscibles entre eux, c’est pour cela que j’ai besoin d’un très grande gamme colorielles d’émaux en tant que matière première.
- Comment voyez-vous l’écologie et le développement durable dans l’habitat, la décoration ?
Dans ma pratique, c’est un champ qui est urgent, notamment sur le plan énergétique. Les fours doivent pouvoir être adaptés à un système solaire. Au niveau économie et budget de l’atelier c’est vital. C’est pour ça que la mutualisation est indispensable aux niveaux des coûts et des recherches de solutions techniques et économiques.
Après dans la déco, il faut être lucide que ceux qui font attention et sont convaincus de l’écologie dans leur intérieur, représentent que 5% de la population. Dans d’autres continents, la consommation reste le graal absolu.
Je mets en valeur que les pièces que je produits pour mes clients sont durables. A part vannier aucun m étier d’art est à 100% éco-responsable. Il y a toujours des les matériaux, le processus de fabrication de cuisson des choses moins écologiques ou polluantes.
Le paradoxe est aussi qu’on a besoin de personnes qui consomment pour faire vivre notre activité.
- Quel serait le projet de vos rêves ?
Ce serait celui où l’on me donne carte blanche dans une galerie pour exposer mon univers artistique avec 1 ou 2 ans pour la préparer sereinement avec le confort financier. Ça se serait le projet de mes rêves.
J’ai toujours eu des rêves réalisables. Il faut s’en donner les moyens.