- Quel est ton parcours, tes études ?
J’ai fait un Bac 12, d’Arts Appliqués suivi d’un BTS stylisme de mode à l’école Duperré à Paris. Ce qui m’a amené à travailler notamment pour Kenzo et Marithé François Girbaud puis ensuite pour un bureau de style. J’y ai rencontré ma future collaboratrice, avec qui on organisait des ventes privées de nos créations, avant de nous faire licencier.
Un jour on a commencé à faire des luminaires en papier mâché (j’avais 22 ans) et on est allée voir des boutiques avec nos prototypes pour savoir si nos créations pouvaient les intéresser.
Notamment une boutique dans le marais a pris toutes nos lampes en dépôt et 3h après nous appelle et nous dit, j’ai tout vendu ! « Est-ce qu’on peut se voir, j’ai quelque chose à vous proposer ».
On ramassait les Paris Boum Boum dans le métro pour faire nos prototypes et là il nous propose d’être notre agent pour commercialiser nos lampes. Le lendemain, deux femmes de chez Pachidermes (distributeurs de luminaires de créateurs) nous appellent et nous expliquent qu’elles ont vu nos lampes dans la boutique car leur bureau se situait derrière. Et elle nous propose d’exposer à Maison et Objet avec les autres créateurs qu’elles représentaient. C’est ainsi qu’on s’est lancée dans l’aventure Des Apprenties Sorcières.
Deux mois plus tard suite au salon on s’est retrouvées avec 800 pièces de commandées, qu’il nous fallait produire. On a cherché des solutions pour les fabriquer. Piège de débutantes on n’aurait pas dû accepter l’offre en BtoB, produire moins et mieux gagner notre vie avec de la vente directe.
Cette aventure a duré 9 ans en vendant à travers le monde.
Puis l’aventure s’est arrêtée à ma première grossesse lorsque j’ai décidé de quitter Paris.
Ensuite je n’ai pas touché au papier mâché pendant au moins 10 ans.
Et comme j’aimais bien la cuisine, j’ai commencé à travailler dans un restaurant sur l’île de ré, où je vivais désormais, en vue de faire un CAP, que je n’ai finalement pas fait en choisissant plutôt l’expérience terrain car il fallait que je gagne ma vie.
C’est là que j’ai rencontré Lionel (son compagnon) qui avait aussi un projet de monter sa propre activité de restauration.
- Quel est ton métier aujourd’hui ? Explique-nous en quoi il consiste.
Aujourd’hui, je suis chef, restauratrice au sein de notre activité de traiteur Mangez-Moi au Bois Plage ne Ré.
En ouvrant le local, on avait besoin de faire un peu de déco et j’ai refait du papier mâché. Un jour une journaliste déco est passée et a flashé dessus en m’incitant à en refaire pour rédiger un article de presse.
C’est comme cela que l’aventure du papier mâché a repris. De fil en aiguille j’ai eu des commandes, de châteaux, de restaurateurs pour des expos…
Ma deuxième casquette est sculptrice en papier mâché. Pour moi mes deux activités sont les mêmes car j’ai le même processus créatif. Je modèle la matière.
Je n’ai jamais aimé être mise dans une case d’un métier en restant focus sur un médium. Un nourrit l’autre. Il y a des phases dans la vie.
Je me suis aperçue que si je n’avais pas fait de la cuisine, je n’aurais jamais fait des aliments en papier mâché, qui sont quand même mon Adn et mon identité aujourd’hui. C’est rarement sur ces sujets là que les gens travaillent le papier mâché mais plutôt sur des luminaires ou des totems animaliers.
- Quels différents médiums utilises-tu ?
La nourriture comestible et le carton et le papier.
Pour le carton et le papier c’est quasi 100% de la récup. Par exemple, les loueurs de vélo de l’île ont d’immense cartons très costauds qu’ils me donnent. Ou encore les ramettes de papier du vendeur d’affiches vintage qui me donne ses coupes de massicot. A force tout le monde le sait et j’ai tout le temps de la matière première pour façonner mes objets.
Je travaille directement le volume, je n’ai jamais pu dessiner en 2d.
- Quelles sont les différentes échelles de tes projets ?
Cela va, d’une scénographie pour un musée ou un château, à des éléments de décor pour une vitrine de Christofle. En ce moment j’ai aussi fourni des pièces pour un restaurant à Marrakech autour d’un festin oriental. Ce que j’aime c’est l’histoire qui se raconte derrière, il y a des échelles, des tonalités de patine à trouver entre les pièces afin qu’elles soient cohérentes entre elles et dans le cadre dans lequel elles sont installées.
Je travaille toujours à 20-40% de plus que l’échelle 1, afin que les pièces ne soient pas noyées dans le décor. D’autant plus dans des musées ou des châteaux où les volumes sont grandioses et les pièces souvent vues de loin. Je ne fais pas du tout du trompe l’œil.
- Qu’est ce qui t’apporte le plus de satisfaction dans ton travail ?
C’est de partir d’une matière première brute et de la sublimer.
Pour la cuisine, partir d’un élément et de surprendre avec de nouvelles saveurs, un visuel différent. C’est le plaisir immédiat du partage. Alors que la sculpture est un travaille d’introspection, seule dans mon atelier.
Avec le papier mâché, j’aime cette idée de faire entrer un déchet – le carton- dans des châteaux qui côtoie des pièces d’artisans d’art qui ont plusieurs siècles. Et qu’en fin de compte, les éléments ne détonnent pas entre eux. Cela est un joli pari de faire entrer la poubelle jaune dans des lieux historiques et/ou de luxe et de donner du précieux à un déchet.
Je trouve cela toujours aussi magique.
- Qui sont tes clients ?
Ce sont des châteaux, des restaurants, des marques mais aussi des collectionneurs qui m’achètent plusieurs pièces.
- Quel est ton rapport à la décoration ? Soigner ton intérieur a-t-il de l’importance ?
J’aime que les objets aient une vie, j’aime créer des scénographies mouvantes chez moi.
J’ai toujours changé ma déco selon les saisons, j’aime bouger les objets de place. C’est ce que j’aime dans mon travail aussi; que les gens puissent jouer à la dînette chez eux.
Je suis une dingue de déco, plus ça va moins je suis sensible aux objets récents car finalement je m’en lasse vite et je m’aperçois que les objets vintages ont plus de caractère. Cela permet d’avoir une atmosphère personnalisée et singulière.
J’adore les arts de la table et les luminaires également bien entendu. La lumière est vraiment ce qui donne une atmosphère à une pièce de vie, je déteste les spots encastrés par exemple et j’adore les bougies. J’aime ces ambiances feutrées que confèrent les lumières indirectes le soir venu.
J’aimes les objets d’artistes, de créateurs. Vraiment si j’avais de l’argent j’adorerais être mécène.
Ce qui me fait le plus vibrer est la création et l’art au sens large.
- Quels sont tes objets fétiches ? Chez toi ou à l’atelier ?
A l’atelier, j’ai un pinceau que j’adore pour réaliser mes patines et aussi mon indispensable pistolet à colle !
Sinon je ne suis pas très matérialiste, à la maison je dirais que c’est un couteau de cuisine japonais car il coupe bien, j’aime son poids aussi dans la main.
Ce sont surtout des outils. Ils perdurent plus dans le temps, ont une utilité contrairement à des objets dont je pourrais me lasser.
Je n’ai pas vraiment d’objets qui m’ont suivi, mis à part un petit cochon en résine qui est dans la cuisine et que j’ai depuis 35 ans.
- Comment vois-tu l’écologie et le développement durable dans l’habitat, la décoration ?
J’aurais tendance à dire qu’il faut arrêter d’acheter des trucs neufs et de mauvaise qualité et de plus se serrer la ceinture pour s’offrir des pièces de bonne facture de temps en temps. C’est comme la mode, cela vaut le coup de fouiner et de dénicher une pièce de caractère et de qualité dans laquelle on met de l’affect.
Les belles pièces de designer ou d’artisan se reconnaissent tout de suite.
Après les matières soi-disant recyclées et toujours pétrochimiques sont aussi beaucoup de greenwashing.
Notre vie sur l’île est par essence assez écologique, on vit et travaille dans le même village dans un cadre naturel privilégié. Cela passe aussi par le fait d’avoir qu’une seule voiture pour deux.
J’aime les belles matières, les objets et mobiliers pratiques, durables, hors des modes.
- Quel serait le projet de tes rêves ?
Bonne question !
J’aimerais bien concevoir une scénographie pour un resto ou un hôtel en pensant l’ambiance et la thématique de A à Z.
Sinon ce serait d’avoir notre lieu avec Lionel pour accueillir et partager des moments autour de l’évènementiel avec une table d’hôte et des ateliers. Un atelier de céramique et aussi un four à pain notamment.
Un lieu de vie et travail qui nous ressemble dans une échelle plus intime et avec des gens qui choisissent de venir nous rencontrer et de partager un moment autour de nos valeurs.
C’est l’ultime projet.